Les mémoires de Caligula, Cristina Rodriguez


"Un père à sa fille en mai de l'an 40 ap. JC"
Ainsi s'ouvre le récit que Gaius Caligula va faire de sa vie à destination de sa petite fille. Des mots qu'elle ne lira jamais car elle mourra assassinée en même temps que lui.
C'est nous, lecteurs, qui partagerons la courte vie de cette empereur, depuis ses souvenirs de ses premiers pas parmi les soldats. Complots, trahisons, assassinats,...le quotidien est loin d'être tranquille dans la Rome antique lorsqu'on se trouve être un des chainons de la grande maille du pouvoir.


La lecture

Sans mentir, j'ai attendu 19 ans (depuis sa parution) avant de tenir enfin ce livre entre les mains. Et oui, car il n'était alors apparemment pas distribué en dehors du Canada et internet n'était pas encore ce qu'il est aujourd'hui.
Etrange expérience dès lors que cette lecture, oscillant entre fébrilité et crainte de le terminer (trop) vite. Je l'avais attendu si longtemps; je voulais le découvrir, mais en même temps j'essayai de ne pas le dévorer sans en profiter tant que possible. Ce fût difficile, surtout en voyant s'amoindrir le nombre de pages à lire. Je voulais rester avec Gaius.
C'est un personnage qui me fascine depuis longtemps (comme beaucoup d'autres, jugés "fous" ou "tordus" par l'Histoire - si vous restez un peu sur ce blog, vous le constaterez ^^).
"à Gaius. pour avoir vécu, pour m'avoir émue, pour avoir été celui que tu fus." Je partage de tout coeur les mots de cette dédicace de Cristina Rodriguez.
Je ne peux que vous recommander la lecture de la préface qui remet bien en perspective ce titre d'empereur fou décerné à Caligula et qui rappelle l'importance cruciale (et toujours actuelle !) d'identifier et analyser les sources, ici historiques. Quel est le parti pris des auteurs ? Dans quel contexte ont-ils écrits ? Quel était leur but en relatant les faits ? Etaient-ils des témoins directs ou non ?
En répondant à ces questions  on comprend vite que le jeune empereur a été - et est toujours - victime d'une réputation désastreuse dont on l'a affublé, ne conservant et transmettant que les aspects négatifs. Et le scandale fait toujours plus vendre que la vertu...
Cristina Rodriguez choisit ici de donner la parole au premier intéressé, Caligula lui-même.
Et le résultat est vraiment convaincant et souvent très touchant. On sent bien les recherches historiques qui ont été effectuées en amont, mais celles-ci ne viennent jamais alourdir le texte.
Au coeur de toutes ces manigances et enjeux politiques, il faut pouvoir naviguer habilement et survivre. Tuer ou être tué. Inspirer la crainte pour se préserver des uns, mais par là même craindre des autres. C'est dans cet état d'esprit qu'est élevé le petit Gaius. Alors, est-ce ainsi que l'on devient un monstre ? Ou bien n'est-on en fait qu'un monstre parmi d'autres ?

Pour aller plus loin, je vous recommande également l'excellent livre (documentaire cette fois) de Roger Caratini, Caligula. Le mal-aimé.
D'autres tomes sont consacrés à d'autres grandes figures romaines, de César à Marc-Aurèle.

L'extrait
Ceux qui disent que l'on peut rester insensible à la perte d'un être aimé sont des animaux qui ne méritent pas le nom d'homme, ma chère fille. Les gens bougent, vivent, rient autour de toi, mais tu ne comprends plus la raison de leur gaieté. Le soleil brille au-dessus de ta tête, mais tu n'arrives plus à en comprendre l'utilité. La beauté du monde devient un mensonge, la joie, une caricature, et les amis qui essayent de te soutenir, des étrangers. Que peuvent-ils comprendre à ton chagrin ? (...) Tu en viens à les détester et à détester le monde, car au choc succède le désespoir, l'envie d'en finir avec la vie pour ne plus sentir cette souffrance, et après le désespoir vient la colère qui cède à son tour la place à la haine. Une haine froide, terrible, dévorante...Une haine qui, ne pouvant pas être dirigée vers le monde, se tourne vers ceux que tu sais coupables de ta douleur.

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