Mon sommeil sera paisible, Alain Absire

Cette nuit-là, Robespierre frappe à la porte de Marie, une céroplasticienne à laquelle il va ordonner de modeler dans la cire le visage d'un vieillard arraché aux cachots de la Bastille. C'est en vérité un mort-vivant qu'il confie à une artiste dont les pouvoirs lui sont inconnus. Comment imaginerait-il qu'une aussi jeune femme sache capter l'essence physique, morale et psychologique des êtres auxquels, par son toucher, elle donne un "autre visage" ? Stupéfait de voir cette magicienne rendre la vie à qui semble l'avoir à jamais perdue, il revient dans l'étrange Cabinet de curiosités. S'en remettant lui-même  aux mains de la modeleuse d'âme et de chair, du tréfonds de la Terreur dont il est le premier instrument, c'est le chemin de son propre destin qu'il entrevoit et sur lequel il s'engage sans retour possible, mais avec la folle espérance d'y percevoir ne fût-ce qu'une trouée de lumière.


La lecture

Etrange lecture que celle-ci...
D'après la quatrième de couverture, on pourrait croire qu'il s'agit d'un roman historique ou d'une romance. Au final, on est bien plus proche d'un récit psycho-philosophique. Et c'est fascinant. Pas d'aventures trépidantes, pas d'amours romanesques. On est vraiment dans un petit roman intimiste, une tranche de vie partagée avec l'un des personnages les plus énigmatiques de l'histoire de France : Maximilien Robespierre.
C'est un très bel exercice de style, car comment sonder l'insondable ? Comment écrire sur des sentiments auxquels se refuse cet homme particulier ? L'Incorruptible "amoureux", ce ne pouvait être ordinaire et théâtral.
On voit ce personnage qui s'est coupé de tout sentiment et se retrouve finalement prisonnier de cette figure aux ambitions quasi mystiques qu'il s'est créée et qui finira par causer sa perte.
C'est bouleversant de se retrouver un instant dans les pensées de Robespierre, tantôt insupportable, tantôt vulnérable, déchiré entre sa tête et son coeur, qu'il a muré depuis l'enfance et dans lequel Marie a ouvert une minuscule brèche.
C'est une lecture que j'ai pris le temps de savourer. J'avais l'impression de tenir un objet fragile entre les mains et de devoir manipuler ces personnages avec précaution. Le style m'a également plu, même si l'auteur n'est parfois pas toujours facile à suivre lorsqu'il part dans des phrases trop alambiquées. Mais ça ne se retrouve pas exagérément au point de perdre le fil du récit.

L'extrait 

Huitième station, on danse la sarabande devant les condamnés, leur cortège est encore arrêté. Mais cette fois-ci ils font halte devant chez Marie. Bafoué, honni pitoyable, recrachant la boule de sang qui lui roulait au fond de la gorge, Maximilien relève sa tête mutilée et, dans son regard presque éteint, revient une lueur. Il ne doute pas que Marie est là-haut, avec son oncle, postée derrière sa fenêtre. Elle ne mettra pas les pieds ce soir sur la place de la Révolution et certainement eût-elle préféré ne rien voir, ne pas savoir... Aussi est-il facile de l'imaginer fermant les yeux pour ignorer ce peu qui reste de lui et que, de la pointe de leurs sabres, des gens d'armes désignent à la foule. Maxime ! J'irai, cette nuit, aux Errancis*, je te retrouverai, je te recueillerai au creux de mon bras...
De nouveau, il lui semble entendre la voix de Marie, c'est sûr, elle s'oblige malgré tout à le regarder, à imaginer ce qu'elle pourra saisir d'immortel en lui. Je déposerai ta pauvre figure en ruine au creux de mon napperon de dentelles, je t'envelopperai au fond de mon panier, te garderai et te ramènerai jusqu'à mon atelier...Le prendre sous son aile, oui. Et cependant, elle découvre dans quel sinistre état il est : un monstre avec une moitié de gueule en moins. Il est désolé, navré, car c'est la dernière tête qu'il lui lèguera. La sienne, dans un état abominable. Impossible pour elle d'en faire l'oeuvre de sa vie.
(*Cimetière)

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