Vincent qu'on assassine - Marianne Jaeglé

Auvers-sur-Oise, juillet 1890.
Vincent Van Gogh revient du champ où il est allé peindre, titubant, blessé à mort. Il n'a pas tenté de se suicider, comme on le croit d'ordinaire. On lui a tiré dessus.
Inspiré par les conclusions des historiens Steven Naifeh et Gregory White Smith, ce roman retrace dans un style épuré les deux dernières années de la vie du peintre et interroge sa fin tragique.
Qui est responsable de sa mort ? Pourqui l'a-t-on tué ? Comment la légende du suicide a-t-elle pu perdurer cent vingt années durant ?
En montrant Vincent Van Gogh aux prises avec son temps, avec ceux qui l'entourent et avec la création, le roman rend justice à un homme d'exception que son époque à condamné à mort.


Lecture

En ce mois d'avril 2023 un peu maussade, j'avais envie de beauté, de délicatesse, de poésie. J'avais besoin de me réfugier dans l'Art tout simplement. Je repensai à un film qui m'avait énormément touchée, "At eternity's gate", avec Willem Dafoe dans le rôle principal. Il s'agit d'un superbe biopic sur Vincent Van Gogh. Je voulais trouver un livre qui me replongerait dans une ambiance similaire. Oui, mais voilà: un tel livre existait-il seulement? Et le hasard, faisant à son habitude bien les choses, m'a mis entre les mains une magnifique rencontre littéraire.
Si, comme moi, vous avez été sensible à l'esthétique de ce film, vous plongerez avec bonheur dans le roman de Marianne Jaeglé qui retrace les deux dernières années de la vie de Van Gogh. Pour quelqu'un qui aime et connait son oeuvre, les descriptions sont d'une justesse incroyablement poétique. A certains moments, c'est comme si on assistait "en direct" à la genèse de certains tableaux; à d'autres, comme si on plongeait dedans ou qu'ils s'animaient devant nous. C'est presque une lecture synésthésique que l'autrice parvient à nous offrir. Il y avait un tableau dont je ne me souvenais pas, mais grâce à sa description, je suis parvenue sans peine à me le représenter avant d'aller le retrouver dans un livre des oeuvres de Van Gogh. Cela peut être une démarche intéressante d'avoir les représentations des oeuvres des artistes en parallèle au livre. Cela complète agréablement la lecture.
Car nous ne suivons pas uniquement le point de vue de Van Gogh, mais également celui des personnes qu'il fréquente à cette époque, entre autres Paul Gaughin qui vient habiter un temps avec lui.
C'est vraiment remarquable et émouvant à quel point tous ces personnages prennent vie et nous paraissent soudain si proches.
La quatrième de couverture pourrait laisser penser qu'il s'agit d'un roman d'enquête haletant sur les causes de la mort de Vincent. Je préfère vous avertir que ce n'est pas du tout le ton du roman. La mort du peintre n'est le sujet que de quelques derniers chapitres. Et on s'y attarde davantage sur la façon dont lui même ressent les événements.
S'il fallait résumer ce livre en quelques mots, ce serait en effet : sensibilité, émotions, passion. On sent qu'il y a eu beaucoup d'amour mis dans cette écriture.
Un coup de coeur pour moi !

J'ai ensuite enchainé avec "C'était mon frère" de Judith Perrignon qui suit Theo dans les mois qui ont suivi le décès de son frère et qui seront également ses derniers. Très émouvant également.

Extrait

Tout l'atteint au coeur, tout le transperce, et pour ceux qui l'entourent, il y a là quelque chose qui défie l'entendement et les convenances qui ne peut être accepté. Cependant, se reprend Théo, il y a des gens qui réussissent à le comprendre, à voir qui il est, même s'ils sont peu nombreux, et ceux-là l'aiment alors profondément. Mais la grande majorité est effarée de son extravagance, de son caractère si singulier. En le voyant agir, on prend peur, on le repousse ou on le tourne en dérision. Il s'arrête devant une toile récupérée à la Maison Jaune : une paire de chaussures d'homme, usagées, montant haut sur la cheville, ses propres souliers, que Vincent a peints. (...) Le cuir est marqué par l'usage, la forme du pied y a imprimé des bosses et des creux mais l'ensemble donne une impression de solidité. Ces chaussures peuvent encore servir. Théo y voit une image de la vie, comme route à parcourir, de la fatigue de l'existence, de l'espoir à conserver dans les moments de doute.
Il sourit. Voilà bien Vincent. Des godillots usés en guise de nature morte. Qui achèterait ces chaussures de pauvre pour les faire figurer dans son salon ? Qui serait assez fou pour vouloir une représentation de la misère aussi directe ? Ce tableau est invendable et il le sait, ce qui ne l'empêche pas de le chérir tout particulièrement. "Regarde", dit-il tout de même, en le montrant à Johanna. Et c'est comme s'il lui disait avec orgueil Voilà qui est mon frère.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Quand l'automne triomphera de la nuit - Sidarel

La grande puanteur - Cetro

L'arbre généreux, Shel Silverstein