L'Archange et le Procureur - Christophe Bigot

 Avril 1794. Camille Desmoulins, "vainqueur de la Bastille" et journaliste éloquent, est guillotiné à l'âge de trente-quatre ans pour avoir critiqué dans ses articles la Terreur de Robespierre. Sa femme Lucile le suit dans la mort quelques jours plus tard. Les deux époux deviennent ainsi les héros idéalisés du plus beau et du plus tragique roman d'amour de la Révolution. Camille et Lucile laissent un fils en bas âge, Horace. Une fois adulte, Horace fuit jusqu'en Haïti les fantômes de la Révolution qui le hantent. En 1825, accablé par la maladie et la mélancolie, il demande à la grand-mère qui l'a élevé, Anne Duplessis, demeurée à Paris dans une obscure indigence, de raconter par écrit l'histoire vraie de ce couple, afin de mettre un terme aux rumeurs sur l'infidélité des amants et sur l'impureté de leurs moeurs. A travers les personnages de Camille, Lucile ou Robespierre (témoin de mariage et ancien camarade de collège de Desmoulins), c'est toute l'histoire de la Révolution française qui ressurgit, avec ses convulsions sanglantes, ses trouées lumineuses et ses contradictions.


La lecture

Une bien belle lecture ! Il s'agit d'un roman "épistolaire" autour de la vie de Camille et Lucile Desmoulins. J'ai utilisé volontairement les guillemets car il n'y a en vérité que deux lettres échangées. La première est celle d'Horace, le fils des Desmoulins, qui, devenu adulte, écrit à sa grand-mère. Il souhaite éclaircir et, si possible, dissipper des rumeurs tenaces concernant ses parents morts sur l'échafaud pendant la Révolution française. C'est, je dirai, la partie la plus fastidieuse à lire car son style est un peu trop lourd. Mais, en ce sens, l'auteur du roman a vraiment réussi un bel exercice de style en faisant revivre ce ton caractéristique du XIXè siècle. Et puis, ce ne sont que quelques pages.
La seconde partie est la réponse à cette lettre, constituée des mémoires de Madame Duplessis, mère de Lucile Duplessis-Desmoulins. Ce texte est lui remarquablement fluide et plaisant à lire.
La grand-mère replonge dans ses souvenirs depuis sa rencontre avec Camille jusqu'à l'exécution du couple, de "ses enfants" comme elle aime à les appeler. Entre deux, on vit les événements à travers les yeux d'une femme tantôt intriguante, tantôt impuissante face au destin. On croise également tous les grands noms de la Révolution française qu'elle dépeint avec justesse et impartialité. J'ai apprécié qu'on en fasse un personnage intelligent qui doute, hésite, revoit ses jugements sur les gens, même ceux qui lui ont fait le plus de mal. Ainsi, elle s'émeut du sort de Saint-Just (l'Archange du titre) sur le chemin qui le mène à la guillotine, lui qui a pourtant contribué à la perte de Camille (le Procureur). Mais elle ne peut s'empêcher de penser au gâchis que constitue cette violence sanguinaire qui fauche des vies si jeunes.
De tout le roman, il n'y a qu'une seule phrase qui m'a déplue qui sous-entend que Robespierre aurait eu des penchants homosexuels. J'ai trouvé ce procédé forcé et inutile au vu de l'ensemble du récit.
Sinon, je considère ce roman, pas trop long et simple à lire, comme une bonne entrée en matière sur l'époque de la Révolution française. On y croise les protagonistes les plus mémorables de manière presque didactique. De même, les grands événements y sont abordés sans que l'on ne se sente perdu dans trop de détails historiques. Il ne faut pas de connaissances étendues sur le sujet et l'époque pour suivre le déroulement de l'histoire et comprendre les rôles que chacun y joue.

L'extrait

Jours heureux ! Comme la lumière de cet été rejaillit plus funestement lumineuse au regard des années sombres qui suivirent ! Comme nous étions fous de vouloir hâter le passage du temps, pour conclure plus vite le mariage de nos chers enfants, alors qu'il eût fallu en suspendre la course pour toujours !
Bien des années ont passé, et me voilà au crépuscule d'une existence obscure et pesante, aussi loin de la Révolution que je l'étais à l'époque des jours brumeux et dorés de mon enfance. Mais la vie a si bien épuisé pour moi, en l'espace de quatre ou cinq ans, ses réserves de bonheur et de malheur que tout ce que j'ai pu vivre depuis m'a semblé dépourvu de couleur et de densité, et n'a par contraste que ravivé l'intensité de moments que je n'oublierai jamais, et que je continue à revivre dans le secret de ma conscience. Tous les survivants de la Révolution vous diront que la vie connut pendant ces années une sorte d'accélération, une modification presque chimique de sa qualité et de sa substance, de telle sorte que l'on ne pouvait qu'être condamné, après coup, à mourir empoisonné de la lenteur, de la fadeur et de la pâleur livide du quotidien.

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